L’hypersensibilité décryptée : fragile ou simplement différent ?

On entend de plus en plus parler de l'hypersensibilité : sur les réseaux, dans les livres, en thérapie. Loin d'être une mode, ce trait de personnalité concerne environ 20% (Elaine Aron, 2000) de la population mondiale. Mais que recouvre exactement ce mot ? Est-ce un trouble ? Une force ? Une faiblesse ? Et surtout : comment savoir si l'on est concerné ?
Cet article a pour objectif d'expliquer de façon simple ce qu'est l'hypersensibilité, ses caractéristiques, ses origines… et le nombreuses idées reçues qui l'entourent.
Qu'est-ce que l'hypersensibilité ?
L'hypersensibilité est une plus forte sensibilité émotionnelle et sensorielle que la moyenne. Ce n'est pas une pathologie, mais un trait de personnalité étudié notamment pour la première fois par la psychologue et chercheur Elaine Aron dès les années 1990. Cependant, la définition de l'hypersensibilité a suivi de nombreux changement. En effet, dans la littérature scientifique, l'hypersensibilité a plusieurs noms en fonctions des auteurs, on retrouve :
- « sensory processing sensitivity (sps) (sensibilité de traitement sensoriel )
- « highly sensory processing sensitivity » (hsps) (sensibilité au traitement hautement sensoriel)
Pour faciliter la lecture de cet article, on utilisera le terme hypersensibilité. Ainsi, on définit l'hypersensibilité comme une différence individuelle dans la capacité à enregistrer et à traiter un stimuli environnementaux (figure1). Par exemple, une personne hypersensible réagit plus intensément à son environnement, aux émotions des autres, au son, à la lumière… Cette sensibilité accrue concerne aussi bien les stimuli positifs (musique, compliment,…) que les négatifs (critiques, conflits,…).

Figure 1 : Représentation de l'hypersensibilité (d'après Greven et al., 2019)
Un trait de personnalité inné ou acquis ?
Le Dr. Elaine Aron précisait que l'hypersensibilité était héréditaire c'est-à-dire au moins un de vos parents était hypersensible même sans le savoir. Cependant, des découvertes récentes suggèrent que l'hypersensibilité est modérément héréditaire (Assary et al., 2019). Mais l'hypersensibilité n'est pas figée dans le temps, l'environnement joue un rôle important, en effet, récemment, une étude britannique réalisée sur 2 868 jumeaux indique que la proportion innée de la sensibilité serait de 47 % contre 53 % déterminés par l'environnement, soit légèrement supérieur à la part innée. En réalité, l'hypersensibilité résulte souvent d'une combinaison innés et acquis.
Caractéristiques de l'hypersensibilité
Les principaux traits communs qu'on retrouve souvent chez les personnes hypersensibles sont les suivants :
• L'intensité émotionnelle : des études menées par l'imagerie à résonance magnétique (IRM) par l'équipe du Dr. Bianca Acevado en 214 ont montré que certaines zones du cerveau nommant les cingulaire, l'insula et les zones de l'empathie s'activaient plus nettement chez les personnes hypersensibles. Ce phénomène explique en partie cette intensité émotionnelle.
• Hyperesthésie (c'est-à-dire une intensité sensorielle accrue) : d'après une étude réalisée par Esther Bergsma auprès de 700 personnes hypersensibles, 70 % d'entre elles présentent une audition particulièrement développée, ce qui en fait le sens le plus sollicité. Viennent ensuite le toucher, puis l'hyperesthésie visuelle, qui se manifeste par une sensibilité accrue à certaines sources lumineuses : les lumières vives, artificielles ou les couleurs trop criardes peuvent devenir gênantes. Enfin, une sensibilité plus subtile, mais bien présente, concerne l'odorat.
• L'hyper-empathie : en 2008, le médecin et biologiste Giacomo Rizzolatti a mis en évidence l'existence des neurones miroirs. Ces neurones jouent un rôle fondamental dans notre capacité à nous synchroniser avec autrui, en nous permettant de ressentir ce que l'autre ressent ; ce sont, en d'autres termes, les neurones de l'empathie. Chez les personnes hypersensibles, ces neurones miroirs interagissent davantage entre eux, sont plus actifs et restent « activés » plus longtemps, ce qui explique une tendance marquée à l'hyper-empathie.
• Le sens du détails et de la créativité : à partir des trois caractéristiques évoquées précédemment, il ressort que les personnes hypersensibles prêtent naturellement attention aux détails et aux nuances, souvent de manière très fine, en particulier selon les sens qui sont les plus développés chez elles. Cette attention accrue aux subtilités s'accompagne généralement d'une créativité particulièrement riche et expressive.
Peut-on s'autodiagnostiquer hypersensible ?
Il existe des tests en ligne, comme celui d'Elaine Aron, psychologue à l'origine du concept de « personne hautement sensible ». Ces outils peuvent donner une indication, mais ils ne remplacent pas une évaluation par un professionnel. L'autodiagnostic peut être utile pour amorcer une réflexion personnelle, mais attention aux effets d'autosuggestion ou à la confusion avec d'autres troubles (comme l'anxiété, le TDAH, etc.).
4 Fausses idées et préjugés à déconstruire
1. Tu es trop fragile.
Non, être hypersensible ne signifie pas être faible. C'est ressentir plus fort, mais cela peut être une vraie force.
2. C'est une maladie.
Ce n'est ni une maladie, ni un trouble mental. C'est un trait neurobiologique, reconnu scientifiquement
3. C'est juste un effet de mode.
Les recherches sur l'hypersensibilité existent depuis plus de 30 ans. La médiatisation récente reflète une meilleur compréhension, pas une tendance passagère.
4. Les hommes ne peuvent pas être hypersensibles.
Faux. Hommes et femmes sont concernés à parts égales, mais les normes sociales rendent plus difficile l'expression de cette sensibilité chez les hommes.
L'hypersensibilité n'est ni un défaut, ni une maladie. C'est une manière différente, parfois difficile, mais aussi précieuse, de vivre et de ressentir. En apprenant à la comprendre, à l'accepter et à en faire une force, chacun peut transformer cette particularité en un véritable atout personnel et relationnel. Le plus important ? Ne plus en avoir honte, mais en faire un véritable levier d'épanouissement.
Références bibliographiques
Articles :
Acevedo B.P., Aron E.N., Aron A., Sangster M.D., Collins N., Brown L.L., « The highly sensitive brain : an fMRI study of sensory processing sensitivity and response to others'emotions », 2014
Aron E. N., Hypersensibles, mieux se comprendre pour mieux s'accepter, Éditions Poche Marabout, 2019
Assary E., Zavos H. M.S., Krapohl E., Keers R. & Pluess M., Genetic architecture of Environmental Sensitivity reflects multiple heritable components : a twin study with adolescents, 2020
Attary, T., & Ghazizadeh, A. (2021). Localizing sensory processing sensitivity and its subdomains within its relevant trait space: a data-driven approach. Scientific reports, 11(1), 20343.
Bergsma E., The Brain of the Highly Sensitive person, Booklight Publishing, 2020, (non traduit en français).
Rizzolatti, G., Sinigaglia C., Les Neurones Miroirs, Odile Jacob, 2008.
Martin, P. (2023) . Hypersensibilité : théorie à la mode ou théorie scientifique ? Le Journal des psychologues, N° Hors-série(HS1), 57-65.
Rizzolatti, G., Sinigaglia C., Les Neurones Miroirs, Odile Jacob, 2008.
Livres :
J'assume mon hypersensibilité, Monaco Aurélia, 2022